L’entretien ci-après est extrait du numéro 33 (de septembre 1977) de la revue Minéraux & Fossiles, entretien pendant lequel Roland Pierrot, responsable de la série des inventaires minéralogiques de la France, répond à une série de questions où est abordée, à un moment donné, la question de l’exposition des sites répertoriés, exposition au pillage plus précisément, et celle du rôle des amateurs dans ce contexte. Je vous laisse vous faire une opinion sur ce sujet au travers de la réponse de Roland Pierrot. Pour ma part, je partage le point de vue de Mr. Pierrot.
9 questions sur l’objectif de l’inventaire et sur le rôle des amateurs
Question 1 : l’inventaire minéralogique de l’Aveyron vient de paraître. Le succès de la collection n’est plus à démontrer. En fait, depuis quand publiez-vous ces inventaires ?
L’inventaire minéralogique consacré au département de l’Aveyron est le 7e mémoire de la série « Inventaire minéralogique de la France ». Nous avons commencé à éditer cette série en 1971, le premier numéro ayant été consacré au Cantal.
Question 2 : quels sont à présent les départements couverts par la collection ? Quels sont les critères qui permettent de « faire » tel département plutôt que tel autre ?
À ce jour, les départements suivants ont donné lieu à un mémoire : n° 1 (1971) Cantal, n° 2 (1972) Hautes-Alpes, n° 3 (1973) Finistère, n° 4 (1974) Alpes-Maritimes, n° 5 (1975) Côtes-du-Nord, n° 6 (1976) Tarn, n° 7 (1977) Aveyron.
Quant aux critères de choix, ils sont définis par les évènements, si j’ose dire. En effet, pour réaliser l’inventaire d’un département, il y a deux nécessités fondamentales : tout d’abord, posséder des informations de « terrain » et des échantillons bien localisés, et ensuite étudier, à l’échelle moderne, les échantillons prélevés.
Si la seconde partie du travail est régulièrement assurée par une équipe de minéralogistes du B.R.G.M., la première partie est réalisée par des équipes régionales, le plus souvent des chercheurs des universités. Il faut qu’ils soient sensibilisés par cette action d’inventaire, qu’ils soient disponibles pour « faire du terrain », prélever des échantillons, localiser avec précision des indices et tout cela dans un secteur ayant des limites « administratives ». En réalité, il est beaucoup plus facile d’étudier un secteur, un district minier par exemple, qui, soumis aux lois de la géologie et non pas à celle de l’Administration, se répartit allègrement dans le Cantal, le Puy-de-Dôme et la Haute-Loire ; il est beaucoup plus difficile de « terminer » l’un de ces départements et d’éditer l’inventaire du Cantal par exemple.
Il n’est pas dit non plus que les collègues qui ont accepté cette collaboration indispensable puissent consacrer le temps nécessaire à cet énorme travail de recensement et leur prospection s’échelonne parfois sur plusieurs années.
De même, au niveau des études, de nombreux travaux plus prioritaires nous conduisent parfois à abandonner quelque temps ces longues études détaillées et ces examens minutieux de tous ces échantillons en notre possession.
Les critères de choix découlent donc de cet ensemble : il faut tout d’abord trouver un responsable régional qui accepte de réaliser ce travail de « terrain », il faut ensuite qu’il le fasse effectivement et que d’autres impératifs ne viennent pas retarder de mois en mois, voire d’année en années, la collecte des échantillons, leur localisation, etc.
Vous voyez cependant que nous arrivons à maintenir, jusqu’à présent, notre cadence annuelle.
Question 3 : le programme se poursuivant, quels seront les prochains inventaires ?
La réponse à cette question ne peut pas être très précise compte tenu de ce que je viens de vous expliquer ; chaque année, trois, quatre, voire cinq départements sont en cours ; ils sont tous menés de front pendant une certaine période ; dès que l’un prend le pas sérieusement sur l’autre, toute l’équipe se concentre sur cet objectif et nous allons alors jusqu’à l’édition effective en abandonnant pendant un temps les autres études de ce type. Actuellement, la Haute-Garonne, les Alpes-de-Haute-Provence, l’Ariège, le Var sont « en chantier » ; l’un de ces départements donnera sans doute lieu à l’édition du numéro 8, il est encore un peu tôt pour savoir avec précision lequel.
Question 4 : comment est réalisé un inventaire ? Peut-on parler de « travail systématique » ou est-ce plutôt un regroupement des informations au fur et à mesure qu’elles vous parviennent ?
Il s’agit effectivement d’un travail systématique ; nous étudions minutieusement chaque échantillon et plus particulièrement les « minerais » parce qu’ils représentent un lien plus étroit avec les préoccupations minières du B.R.G.M. et également parce que ce sont eux qui ont été les moins bien étudiés dans le passé. Nous faisons également une compilation des documents existants, des publications consacrées à la minéralogie régionale, et de nos propres travaux réalisés avec un autre objectif. Le travail systématique l’emporte cependant de loin, l’autre partie étant une bibliographie classique et la plus exhaustive possible qui se réalise pour ces mémoires comme pour tout autre travail de recherche.
Question 5 : s’il était possible de définir la vocation de la collection, que pourrait-on dire ?
Vocation est sûrement un trop grand mot. Il faut surtout se rappeler l’origine de ces inventaires. Il y a plusieurs années, seul le souci de ne pas « perdre l’information » nous a amenés à faire un travail de compilation de nos connaissances et à réaliser des petits mémoires internes ; nous avions à cette époque un ensemble de données assez complètes dans le Massif central et particulièrement dans le Cantal ; l’idée d’une diffusion de ces données dans le public s’est peu à peu fait jour et nous avons édité le Cantal comme « ballon d’essai ». Le succès, un peu inattendu d’ailleurs, nous a permis de poursuivre dans ce sens ; en dehors de la diffusion elle-même, nous aurions probablement poursuivi nos travaux, nécessaires aux sciences de la Terre en général ; il se trouve que ces mémoires ont trouvé un large public avec les amateurs et collectionneurs et c’est une raison de plus pour poursuivre cette série.
Question 6 : les réformes scolaires actuelles cherchent à privilégier la connaissance du milieu. Dans quelles mesures les inventaires peuvent-ils contribuer à répondre à ces préoccupations ?
Les inventaires ne sont que ce qu’ils sont et ne peuvent pas répondre à tous les besoins. Cependant, les indices minéralisés que nous signalons sont rarement en bordure des autoroutes, mais au contraire le plus souvent loin des voies d’accès, en pleine nature. Il faut faire quelques efforts, ne serait-ce qu’un peu de marche à pied hors des sentiers battus pour atteindre la plupart des indices. De très belles promenades peuvent ainsi être motivées et des paysages inhabituels peuvent être découverts : regardez par exemple l’inventaire consacré aux Alpes-Maritimes : ce département n’est pas seulement un littoral de Cannes à Menton ; la Côte d’Azur ne représente qu’une petite partie de ce très beau département qui mérite d’ailleurs d’être mieux connu. La recherche de quelques minéraux pourra peut-être permettre à certains de mieux le découvrir.
Question 7 : peut-on parler de pillage d’un site ? Le fait d’offrir des informations à un large public ne présente-t-il pas un danger pour les sites concernés ?
C’est toujours la grande question, en particulier des détracteurs de ces inventaires. À mon avis, c’est une fausse question et un faux procès. Je me suis personnellement un peu occupé de collections, de musées, de conservation et je suis toujours étonné de voir des gens qui n’ont jamais ni ramassé, ni collectionné, ni surtout « conservé » un échantillon, crier au scandale lorsque les richesses de la nature sont mises à la portée de tous. Je vous assure que ce sont presque toujours ceux-là qui critiquent le plus « les inventaires ».
Avez-vous vu, par exemple, une mine métallique en exploitation ? Il faut extraire les métaux indispensables à notre vie moderne, on dynamite, on concasse, on broie et c’est une nécessité, mais à ce niveau, croyez-moi… De très beaux spécimens minéralogiques passent au concasseur sans espoir de retour. Par contre, on va s’indigner si un amateur, avec un marteau (quelle horreur !) va casser quelques cailloux pour son plaisir, va trouver et rapporter chez lui (quelle audace !) un échantillon qu’il va soigneusement conserver, c’est certain… mais c’est lui qui sera taxé de destructeur… Soyons sérieux !
Il faut également être réaliste. On ne trouve pas de grandes gerbes de cristaux de quartz dans un jardin de banlieue ni dans un champ de blé en Beauce. Il faut toujours de travaux importants, traçages de routes, carrières, mines, pour mettre à jour des minéraux intéressants. Les beaux spécimens ne se trouvent que grâce à ces travaux et ne seront conservés que grâce aux amateurs, et tous ceux qui auront le goût, l’intérêt scientifiques et même pécuniaire (pourquoi pas ?) pour les récupérer… Vous voyez, mon seul souci c’est d’éviter le concasseur… irrémédiable.
Je profite également de cette question pour vous donner mon opinion sur les « collections » en général.
Alors qu’on dépense des millions de francs pour réaliser certains minéraux de synthèse indispensables aux recherches modernes dans des domaines allant de la science des matériaux à la physique atomique, on gâche allègrement, pour des motifs faussement écologiques ou économiques des milliers d’échantillons naturels.
On peut hélas se demander combien il faudra de temps à la majorité des géoscientifiques pour comprendre l’intérêt des collections (ils sont parmi les derniers au monde à les mépriser).
Pour revenir au délicat problème des amateurs, je pense qu’il est nécessaire de les éduquer, de leur apprendre à laisser en place ce qu’ils sont incapables de prélever correctement, de ne pas détruire, eux aussi, ne serait-ce qu’avec l’argument inacceptable : « je ne peux pas prélever tel échantillon, mais personne ne l’aura… ! » À ce niveau qui pourra être celui de l’enseignement en général, il y a beaucoup à faire.
Question 8 : en fait, quelle peut être la place de l’amateur — ou du collectionneur — dans l’acquisition des connaissances ?
Amateurs et collectionneurs peuvent avoir une place importante au niveau national ; vous savez que les États-Unis utilisent beaucoup leurs « clubs » d’amateurs. Là aussi il faut une forme d’éducation pour que certains renseignements ne soient pas jalousement cachés au profit d’une seule personne et surtout par méconnaissance de l’importance que telle ou telle découverte peut avoir dans un cadre plus général.
Il a fallu beaucoup d’amateurs et de collectionneurs de tous niveaux pour que nos grandes collections nationales existent aujourd’hui. Le « fonds » des grandes collections a toujours été constitué par des amateurs, très rarement par des professionnels… Ce terme d’amateur ne doit donc pas être péjoratif.
Question 9 : en fait, pourquoi les inventaires ?
Je crois que la réponse a été fournie au fur et à mesure de vos questions, mais on peut peut-être conclure ; depuis la « Minéralogie de la France » de Lacroix, aucun travail de synthèse n’avait été effectué au plan de la minéralogie de notre territoire national ; pour réaliser un ouvrage équivalent, mais actuel, il faut envisager un travail considérable pour lequel tout manque, les hommes comme les moyens. Nous essayons donc plus modestement d’aboutir à cet objectif en prenant une unité — le département. Il s’avère que ce travail méthodique à des retombées nombreuses : tout d’abord la simple connaissance de notre patrimoine national en ce domaine ; de nouvelles informations et découvertes : il y a déjà eu plusieurs thèses à partir des résultats effectués lors de cet inventaire ; l’utilisation de ces informations par les gîtologues et métallogénistes qui commencent à faire des synthèses régionales sur des bases réelles ; l’apport non négligeable à la recherche minière française actuellement en plein essor ; et enfin l’intérêt des amateurs qui conduit à une meilleure connaissance dans le public de la minéralogie, des sciences de la Terre et de la nature en général. Tous ces intérêts très divers justifieraient, s’il en était besoin, l’action entreprise — la connaissance d’un patrimoine national pourrait en être la seule raison d’être : ce n’en sera que l’aboutissement.