Encore un caillou dans ta poche !
Combien de collectionneurs en herbe, gamins, ne se sont-ils pas fait gronder par leur maman à cause des galets, du sable, parfois des insectes, qu’elle trouvait dans leurs poches, ou dans leur trousse à crayons ? C’est quelque chose qui vous parle ? Vous souriez, ou pas, en y repensant ?
À chaque lessive ou presque, un « encore un caillou dans ta poche ! ». Avec un peu de chance, c’était avant de lancer la machine à laver… Une situation familière ?
À l’origine de cette situation familière se trouvent la curiosité et la capacité d’émerveillement pour les petites choses de rien du tout. Pour certains, il s’agit d’une curiosité pour les fleurs ou les arbres. Pour d’autres, ce sont les insectes, les oiseaux, les animaux sauvages. D’autres encore sont fascinés par les nuages ou les étoiles.
La curiosité, c’est finalement cette capacité que nous avons à nous interroger sur les mille et une choses qui nous entourent, en particulier sur le comment et le pourquoi : « comment ça marche ? », « comment c’est arrivé là ? », « pourquoi c’est bleu ? », « pourquoi ce n’est pas bleu ? » Des questions (pas si) naïves de gamin, posées à des parents qui n’ont pas toujours le temps d’y répondre (ils n’en sont pas toujours capables).
La curiosité, ça demande du temps
Justement, gamins, nous en avions du temps, pour jouer au foot, pour construire des cabanes, pour inventer des jeux. Nous avions même du temps pour nous ennuyer. On s’en plaignait, souvent même. Mais c’est de l’ennui que naissait parfois un intérêt pour des choses a priori futiles : observer une fourmilière, regarder les étoiles, remarquer une empreinte d’animal, ramasser un caillou…
Cher visiteur, si tu es ici, sur ce site, tu as compris que moi, j’ai ramassé le caillou (il y’avait les étoiles aussi). Je ne sais plus s’il brillait ni quelle couleur il avait. Ce dont je me souviens, c’est que je l’ai mis dans ma poche. Lui et plein d’autres après lui.
Et si tu es resté jusque là, c’est peut-être aussi que tu es un peu ce gamin, que tu te reconnais dans cette histoire, au moins en partie. C’est pour cette raison que je continuerai à parler de ce gamin à la troisième personne, parce que cette histoire, ce n’est pas que la mienne.
Mais revenons à la curiosité. Cette curiosité ne s’arrête pas là. Car la curiosité s’autoalimente. C’est quoi une fourmi ? C’est quoi cette étoile ? Quel animal a laissé cette empreinte ? Ce caillou, il vient d’où ? Et pourquoi il brille ?
Une réponse, c’est dix questions de plus
Alors le gamin cherche à comprendre. Attention ! je parle d’une époque où Internet n’existait pas (on regardait « l’an 2000 » comme un futur encore très lointain). Il regarde d’abord dans la bibliothèque de la salle à manger, dans le dictionnaire. Ouais. Bof. Pas grand-chose. Mais c’est déjà ça. À la bibliothèque municipale, après avoir ouvert toutes les encyclopédies, il trouve enfin quelques ouvrages intéressants pour éclairer sa lanterne, sur les roches et les minéraux. Mais ce n’est pas suffisant. À chaque fois qu’il trouve une réponse, il referme le livre avec dix nouvelles questions. Au début, c’est frustrant. Puis, très vite, ça devient un jeu.
Rappelez-vous, au départ, c’était juste un caillou ramassé au bord du chemin. Très vite, ça devient une quête de connaissance.
Le gamin de CE2, il n’est pas formé à ça. À l’école, il apprend que les questions ont des réponses. Le plus souvent des réponses simples à des questions simples : combien font 2 + 2 ? Il n’y a qu’une réponse (en CE2 en tout cas). Quelle est la capitale de la France ? (Sur cette question, le gamin impertinent pourra demander de préciser l’époque.)
Ça dépend
Progressivement, il découvre que la réponse aux questions qu’il croyait simples est plus compliquée à trouver qu’il ne l’avait imaginé. « Ça dépend » devient une réponse, temporaire et pas satisfaisante. Une réponse qui ne remet pas nécessairement en cause l’érudition de celui qui la formule, mais plutôt une réponse qui implique qu’il manque des informations dans la question.
Mon caillou, par exemple, ça dépend où je l’ai trouvé ; ça dépend s’il y en avait d’autres, semblables, autour ; ça dépend s’il est lourd ou léger ; ça dépend s’il est dur ; ça dépend de son éclat. Bref, il me fallait mieux décrire le caillou pour tenter de répondre à la question « quel est donc ce caillou ? ».
Eh oui, certaines caractéristiques sont simples et liées à l’observation visuelle : je peux dire que ce caillou est bleu et qu’il brille. D’autres caractéristiques sont plus difficiles à déterminer, quand on a dix/douze ans. Est-il lourd ou léger ? Et puis d’abord, lourd par rapport à quoi !? Il faut peser, tester. Et puis un gros caillou, c’est plus lourd qu’un petit, c’est logique, non ? Alors, j’ai découvert ce qu’était la densité et la façon de la mesurer. Est-il dur, ou pas ? Encore une fois, dur par rapport à quoi ? J’ai découvert L’Échelle de Mohs. La trace, l’éclat, le clivage et une multitude de propriétés complétaient le portrait. Pour certaines d’entre elles, j’allais devoir user d’astuce et aussi être patient (je n’allais appréhender certaines propriétés optiques que bien plus tard, avec des instruments que je n’avais alors pas).
Des cailloux vinaigrette
Par exemple, quelques années plus tard, alors collégien, j’ai parlé d’acide chlorhydrique à ma maman. Elle n’était pas trop d’accord pour m’en acheter ou me laisser en utiliser (tu parles !) Mais elle m’a laissé me servir du vinaigre de cuisine (merci maman !) J’allais pouvoir faire ce test de réaction à l’acide dont avait parlé le professeur de sciences naturelles pour déterminer les roches et minéraux calcaires. Pendant longtemps, beaucoup de mes cailloux sentaient la vinaigrette, comme mes chaussettes qui étaient rangées dans le tiroir d’en dessous.
Fini l’ennui !
La réponse à cette question pourtant simple « quel est ce caillou ? » dépendait donc d’une multitude d’informations. Et la recherche de ces informations allait faire que plus jamais je n’allais m’ennuyer. Et si je suis honnête avec moi-même, je dois avouer que cette quête de connaissances l’a assez vite emporté sur la quête de réponses : partir d’un caillou et finir par dévorer une demi-douzaine de livres, jouer au petit chimiste et, finalement, se poser plus de questions à l’arrivée qu’au début (Quel est usage de ce caillou dans l’industrie ? Pourquoi on en trouve ici et pas là ? Pourquoi ressemble-t-il à cet autre caillou ? Comment ? Pourquoi ?) ; c’est ça qui est grisant !
Culture scientifique
Le gamin que j’étais et qui se posait des questions devient alors un amateur. Amateur au sens le plus positif du terme (y a-t-il seulement un sens négatif ?) En tant qu’amateur, il acquiert de nouvelles connaissances par les moyens qui sont à sa portée. Les livres d’abord. À chaque Noël, à chaque anniversaire, un nouveau livre, ou plusieurs s’il a de la chance[1]Quelques références de mes premiers livres : Encyclopédie des minéraux — Gründ, Minéraux — Editions Atlas, Atlas des roches et minéraux — Nathan, Les Minéraux – Jacques Galvier, … Lire la suite. Les musées ensuite, en particulier ceux d’histoire naturelle. Et si parfois on lui offre des cailloux de chez le marchand, il préfère quand même aller les chercher dans la nature : ils sont moins beaux, mais c’est lui qui les a trouvés (et comme ils finiront tôt ou tard par sentir le vinaigre…).
Quand il rentre, les trouvailles quittent les poches pour passer dans un tiroir, ou dans plusieurs tiroirs, dans des petites boîtes, ou de plus grosses boîtes, des tubes, des bocaux. L’amateur est devenu collectionneur.
Il faut bien grandir, mais…
Plus grand, le gamin passe à autre chose (les études, les filles, et tout et tout). Mais il se dit que plus tard, il sera géologue. Son professeur de maths au lycée va en décider autrement. Pas grave, les études de langues, c’est bien aussi (il y a beaucoup de filles dans les filières de langues…)
Pour conclure (ou commencer, c’est selon)
Donc voilà, chez visiteur, une petite histoire que j’espère être celle de beaucoup de gamins, des gamins d’hier, mais aussi d’aujourd’hui. Rien de dramatique. Pas de rebondissements. Pas de suspense. Pas de violence. Pas de sexe. Ce n’était pas l’idée. Elle donnera peut-être un coup de nostalgie à ceux d’entre vous qui ont grandi dans les années 80, sans Internet, sans smartphones, sans ordinateurs (il y avait bien le père de Cyrille qui en avait un, mais ça ne compte pas, il était médecin…). C’était une autre époque.
Mais une époque pas si différente d’aujourd’hui, où les gamins peuvent plus que jamais accéder à la connaissance, en particulier grâce à Internet. Mais admettons-le, Internet c’est parfois le fouillis. On y trouve tout ou presque, mais surtout n’importe quoi si l’on n’y prend pas garde (je sais, ça fait réac’ de dire ça). Et on pourrait croire que le sujet qui nous intéresse, la minéralogie, est relativement à l’abri du « grand n’importe quoi ». J’aimerais en être persuadé.
L’idée de cette page, c’était donc de faire un peu connaissance avec l’auteur de ce site et de comprendre ses motivations. Je pense qu’il était important d’en passer par là pour saisir comment le contenu de ce site a été créé, par qui, et dans quel but.
Notes
↑1 | Quelques références de mes premiers livres : Encyclopédie des minéraux — Gründ, Minéraux — Editions Atlas, Atlas des roches et minéraux — Nathan, Les Minéraux – Jacques Galvier, Pierre-Jacques Chiappero, Éric Asselborn. |
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