Ce premier tome de « Minéralogie de la France et de ses colonies », ce premier pavé devrais-je dire, a initialement été publié en deux fascicules (notez l’emploi du mot « fascicule » pour qualifier un ensemble de plus de 300 pages !)

Le premier a été publié en 1893 et le second, deux ans plus tard, en 1895. Ils sont tous les deux réunis dans ce premier tome (on trouve souvent, sur internet, la mention « Minéralogie de la France et de ses colonies, tome 1, partie 1 », mais le document contient en général l’ensemble des 723 pages du tome premier : il s’agit donc bien de l’intégralité du texte ; on retrouve cette confusion sur d’autres tomes de la série).

Après la lecture de la courte introduction de l’auteur, il convient de s’attarder sur les Observations Générales, sorte de guide de lecture des pages qui vont suivre : en quelques pages, Lacroix présente sa méthodologie systématique de détermination (forme, macle, faciès, clivage, dureté, densité, etc.)

Il y est aussi fait mention d’équipements et d’outils utilisés, notamment optiques, pour faire le diagnostic (détermination) :

J’ai fait construire par M. Nachet un oculaire tel qu’on peut remplacer la loupe dont il vient d’être question par la lentille supérieure de son oculaire n° 1. […]

Le genre de mention qui nous plonge dans l’époque, avec des noms qui nous parlent et qui résonnent encore aujourd’hui (vous n’avez jamais possédé ou simplement utilisé une loupe binoculaire ou un microscope Nachet ?)

Évidemment, la section « Gisements et associations » est certainement celle qui intéressera le minéralogiste amateur, un peu comme le dessert à la fin d’un copieux repas :

Pour chaque minéral, j’ai étudié séparément les conditions géologiques dans lesquelles on les rencontre. Les divisions étant une fois établies, j’ai résumé brièvement les formes particulières sous lesquelles les minéraux se présentent dans chacune d’entre elles, et les substances qui les accompagnent ordinairement. Puis chaque gisement est étudié dans l’ordre géographique suivant : Normandie, Bretagne et leurs annexes, Vendée, Pyrénées et annexes (Corbières), Montagne Noire, Plateau Central et annexes, Vosges, Ardennes, Alpes, Esterel, Corse, Algérie, Colonies françaises et pays de Protectorat.

Si les éléments descriptifs sont parfois arides et, il faut être honnête, pas toujours à la portée de l’amateur, c’est pour chaque espèce décrite la partie « Gisements et associations » qui plonge le lecteur dans l’époque. Un peu comme quand on regarde le Tour de France, même si l’on n’est pas fana de cyclisme, parce qu’il passe près de chez nous ou à proximité d’un endroit qu’on connaît à l’autre bout du pays.

Une fois l’ensemble introduit et les bases posées, le lecteur entre dans le vif du sujet : les espèces. Ce sont donc les Silicates et les Titanates qui s’y collent en premier, dérogeant à l’habituel ordre de classification déjà en vigueur à l’époque. L’auteur l’explique ainsi :

Bien que j’aie suivi une classification chimique peu différente de celle qui a été employée par M. Groth, j’ai étudié dans mon premier volume les silicates et les titanates qui, logiquement, devraient constituer le second volume. J’ai cru pouvoir me permettre cette interversion pour les raisons suivantes : dans un travail comme le mien, destiné à la description des minéraux d’une région limitée, la classification n’a pas une grande importance, puisqu’un très grand nombre d’espèces et même de groupes y manquent complètement. D’autre part, j’ai recueilli sur les silicates beaucoup de faits nouveaux, que je désire faire connaître le plus tôt possible.

Sur ce dernier point (« j’ai recueilli sur les silicates beaucoup de faits nouveaux »), l’auteur ne savait pas encore à quel point il avait raison et ce que ça impliquerait dans le déroulement de son projet…

Bonne lecture !


Lire l’article « Le Lacroix enfin dans le domaine public ! »

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Introduction de l’auteur :

La lecture des traités de minéralogie les plus récents, l’étude de nos grandes collections publiques tendent à faire considérer la France comme fort pauvre en minéraux. Le fait paraît étrange, quand on jette les yeux sur une carte géologique de notre pays, et que l’on constate le grand développement qu’y prennent les schistes cristallins et les formations paléozoïques, les roches éruptives anciennes et les roches volcaniques modernes.

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Il n’est pas nécessaire cependant d’étudier bien à fond les Pyrénées, la Bretagne, le Plateau Central, le Dauphiné et les Vosges pour s’assurer que cette pauvreté en minéraux n’est qu’apparente et n’est qu’une conséquence du peu de faveur dont jouissent chez nous les études minéralogiques sur le terrain et les exploitations minières. Il y a longtemps que ce fait m’a frappé et que j’ai commencé à recueillir tous les documents pouvant intéresser la minéralogie de la France. J’ai visité la plupart des gisements anciennement connus, j’en ai découvert moi-même de nouveaux ; enfin j’ai étudié plusieurs collections publiques ou particulières qui m’ont permis de compléter mes recherches personnelles.

Attaché depuis quatre ans au service de la Carte géologique détaillée de la France, avec mission spéciale d’étudier les terrains anciens et les formations éruptives de la chaîne des Pyrénées, j’ai pu aborder méthodiquement l’étude minéralogique de cette intéressante région. Les résultats que j’ai déjà obtenus sont importants, ainsi qu’on pourra en juger au cours de cet ouvrage.

J’ai du reste été guidé dans ces recherches par les observations que j’ai faites en visitant les gisements connus de plusieurs régions de l’Europe et de l’Amérique du Nord.

Les matériaux que j’ai amassés étant déjà très nombreux, j’ai pensé faire œuvre utile en les publiant dès à présent, bien que quelques parties de la France n’aient encore été étudiées que d’une façon très sommaire à ce point de vue.

La publication de mon ouvrage devant durer environ deux ans, il me sera donc possible de le faire bénéficier des recherches qui pourront être faites pendant ce temps. Plus tard, des suppléments successifs viendront compléter ces premiers documents.

J’ai donné à mon travail une forme didactique, afin que le lecteur ait sous la main tous les renseignements nécessaires à l’étude des minéraux que je décris, sans avoir besoin de recourir à un Traité de minéralogie.

J’ai cherché à exposer les propriétés cristallographiques et optiques d’une façon aussi claire que possible. L’emploi simultané des notations de Lévy-Des Cloizeaux et de Miller en facilitera la lecture à ceux qui ne sont pas familiarisés avec le système de notation français. Si le système de Miller se recommande pour les facilités qu’il fournit au calcul, celui de Lévy est incomparable pour la simplicité des notations dans le langage parlé et dans le dessin des cristaux.

Toutes mes données numériques (angles des cristaux, densité, indices de réfraction, biréfringence, angle des axes optiques, composition chimique) résultent de l’étude de minéraux de gisements français. Le plus grand nombre d’entre elles me sont personnelles.

Toutes les fois que cela a été possible, ce sont les cristaux mesurés et étudiés au point de vue optique qui ont été analysés. Dans la plupart des traités de minéralogie, on s’occupe presque exclusivement des minéraux macroscopiques ; l’étude des minéraux microscopiques, et particulièrement de ceux qui constituent les roches, est reléguée dans des ouvrages spéciaux et considérée comme appartenant au domaine de la géologie.

Une semblable distinction n’a plus sa raison d’être aujourd’hui. La connaissance que nous avons des propriétés des minéraux observés en cristaux macroscopiques, permet d’étudier les mêmes substances faisant partie intégrante des roches et inversement, l’étude des propriétés optiques ou des particularités de structure des minéraux des roches est d’un précieux secours pour l’établissement définitif de l’histoire d’un grand nombre d’espèces minérales.

L’étude des roches est donc inséparable de celle des minéraux, et je me suis préoccupé de suivre chacune des espèces que j’ai eu l’occasion de rencontrer en France dans toutes ses manières d’être et dans tous ses gisements.

Lorsque les propriétés physiques et chimiques d’un minéral sont définitivement établies, son histoire n’est pas complète. Il joue un certain rôle dans la nature ; les formes souvent si nombreuses et si différentes que l’on rencontre dans une même espèce minérale sont une conséquence des conditions physiques de sa cristallisation. La recherche de ces conditions de cristallisation ne peut se faire dans le laboratoire. La connaissance exacte de la nature du gisement et des formes cristallines que l’on rencontre dans chacun d’eux permettra seule d’arriver à la solution de cet intéressant problème. J’y ai apporté tous mes soins, et les conclusions auxquelles je suis arrivé constitueront le chapitre final de mon travail.

Dès à présent, je puis faire remarquer que pour un certain nombre de minéraux, tels que, par exemple, l’andalousite, les grenats, le dipyre, l’albite, etc., les formes et les particularités de structure sont si typiques pour chacun de leurs gisements différents que dans une région déterminée, telle que les Pyrénées, il est possible, la carte géologique étant donnée, d’indiquer a priori où l’on aura des chances de rencontrer des gisements de ces minéraux, et quelles seront leurs formes dominantes dans chacun d’eux.

Il est une autre question qui m’a paru intéressante à mettre en lumière. Lorsqu’un minéral est parvenu à son complet développement cristallin, son évolution n’est pas achevée. Il est soumis à de nombreuses forces physiques ou chimiques tendant à le modifier, le transformer ou le détruire.

Je me suis attaché à la description de ces phénomènes et j’ai suivi, notamment, la transformation de certaines espèces les unes dans les autres par voie de pseudomorphoses. Les observations microscopiques m’ont été d’un grand secours à ce point de vue. Dans l’étude de la distribution géographique des minéraux français, je ne me suis pas toujours astreint à rester dans les limites politiques de notre pays, et il m’est arrivé souvent d’étudier les minéraux provenant des régions naturelles se prolongeant au-delà des frontières ; j’ai, du reste, toujours eu soin d’indiquer ces gisements entre crochets. À la fin de l’ouvrage, je donnerai des tables géographiques aussi complètes que possible, qui faciliteront les recherches du lecteur.

En ce qui concerne nos colonies, je n’ai eu malheureusement que des résultats très incomplets ; j’espère pouvoir combler cette lacune dans des suppléments ultérieurs.

Tout en donnant dans cet ouvrage la place la plus large possible à mes observations personnelles, je n’ai jamais négligé de signaler les travaux antérieurs et d’indiquer scrupuleusement les emprunts que je leur ai faits.

Quelques descriptions ou catalogues de minéraux de régions limitées m’ont été d’un grand secours. Je citerai en particulier la Description des minéraux de la Loire-Inférieure, par M. Baret, la Minéralogie du Puy-de-Dôme, de M. Gonnard, celle du Morbihan, par M. de Limur. En ce qui concerne les gisements que je n’ai pas visités moi-même, j’ai eu souvent beaucoup de peine à les classer dans les groupements géologiques que mes propres observations m’ont conduit à établir. Il y a là une source inévitable d’incertitudes qui a été signalée chaque fois que l’occasion s’en est présentée.

Au cours de ce travail, j’ai contracté de nombreuses dettes de reconnaissance. Je dois, tout d’abord, remercier — mon savant maître, M. des Cloizeaux, qui m’a prodigué, de longue date, ses leçons et ses encouragements, et qui a mis libéralement à ma disposition ses documents personnels et ceux de la collection minéralogique du Muséum d’histoire naturelle ; — mes maîtres, MM. Fouqué et Michel Lévy, auprès desquels je travaille depuis dix ans ; je leur suis redevable de leurs leçons, de leurs conseils et des observations personnelles qu’ils m’ont communiquées sur les régions dont ils ont fait la carte géologique ; — MM. Friedel et Mallard, dont la bienveillance m’a été d’un grand secours pour l’étude de la collection de l’École des mines, dans laquelle j’ai été guidé par l’inépuisable obligeance de M. Richard ; — MM. Daubrée et Damour, qui ont bien voulu me fournir de précieux renseignements et m’ouvrir leurs collections.

Je tiens aussi à rendre un pieux hommage à la mémoire de mon grand-père, qui a été mon premier maître en minéralogie, et qui m’a laissé de nombreux minéraux, recueillis par lui dans les anciens gisements de Saône-et-Loire et du Rhône.

Enfin je ne veux pas oublier tous ceux qui, pour une part plus ou moins grande, ont contribué à me procurer des documents provenant de leurs collections personnelles ou de celles qui sont confiées à leurs soins. Je citerai particulièrement MM. Barrois, Bergeron, E. Bertrand, L. Bertrand, M. Bertrand, Besnard du Temple, Béziers, Bleicher, Boule, Brun, L. Bureau, Caralp, Caraven Cachin, Cayeux, Chamussy, Curie, Delage, Deperet, Desharnoux, Dorlodot d’Arment, Duparc, de Fréminville, Fre Euthyme, P. Gautier, Garreau, Grandidier, Gonnard, Gorecki, de Gramont, Haug, Jannettaz, Kampman, de Lapparent, de Launay, Latteux, Léon, Le Roux, Le Tellier, de Mauroi, L. Michel, Morineau, Munier-Chalmas, Œhlert, Offret, Ply, Potier, Pouyanne, Rouast, Rames, Segond, Seunes, Thollon, Vélain, Wallerant, Zeiller, etc.

Je tiens à adresser des remerciements tout spéciaux à MM. Baret, Frossard, Gourdon, de Limur, qui ont mis à mon entière disposition leurs collections, et n’ont jamais hésité au sacrifice d’un échantillon rare toutes les fois que l’intérêt d’une recherche l’a exigé. J’espère que tous ceux qui liront ces lignes s’intéresseront à mon œuvre et voudront bien me continuer leur bienveillant concours pour m’aider à son achèvement.

Paris, 1er juillet 1892 (Collège de France)
A. LACROIX

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